Le 15 mars 1962, à quatre jours du cessez-le-feu, Mouloud Feraoun participe à une réunion à Ben Aknoun, avec cinq de ses collègues. Ils sont trois Algériens et trois Français, tous inspecteurs des centres sociaux éducatifs créés à l’initiative de Germaine Tillion et soupçonnés de collusion avec le FLN. A onze heures, un commando Delta de la sinistre OAS les fait sortir de la salle et les mitraille de 108 balles contre un mur avant de prendre la fuite. Mouloud Feraoun devient, après Rédha Houhou, le deuxième écrivain martyr algérien.
Issu d’une famille pauvre dont le père a dû aller travailler dans les mines de France, il est né le 8 mars 1913 au village de Tizi-Hibel, près de Larbaa Nath Irathen (alors Fort-National), dans la famille Aït Chaabane que l’état-civil colonial a enregistrée sous le nom de Feraoun. Brillant élève à l’école primaire de Taourirt-Moussa, il obtient en 1928 une bourse pour l’école primaire supérieure de Tizi-Ouzou. En 1932, il est reçu au concours d’entrée de l’Ecole normale supérieure de Bouzaréah, parmi les 20 admis à la section indigène sur 318 candidats, quand la section européenne offre 54 places pour 64 candidats ! Il y fait la connaissance d’Emmanuel Roblès, originaire d’Oran et futur écrivain. En 1935, il est nommé instituteur dans son village natal. Après une autre affectation, en 1946, à Taorurirt-Moussa, il est nommé en 1952 directeur du cours complémentaire de Larbaa Nath Itharen. En 1957, il devient directeur de l’Ecole Nador d’El Madania (ex-Clos Salembier) sur les hauteurs d’Alger.
Sa passion de grand lecteur, évolue très tôt vers le besoin d’écrire qu’il assouvit dés le début de sa carrière pédagogique, enseignant le jour et écrivant la nuit. Ses premières œuvres romanesques sont fortement autobiographiques. Durant les vacances de printemps de 1939, il écrit «
Le Fils du pauvre» qui relate de manière poignante la dure accession des enfants algériens à l’école ainsi que leurs conditions de vie difficiles. Il devra attendre 15 ans avant que ce roman, paru une première fois en 1950 dans une revue littéraire, ne soit publié par les éditions Le Seuil, où travaille son ami Emmanuel Roblès. Son second roman, «
La Terre et le sang» (1953), montre une certaine maturation de son écriture. Il continue à décrire l’univers social de son enfance en y introduisant des éléments de conflits autour du personnage d’Amer, ancien mineur émigré, rentré après une blessure : entre la tradition et la modernité ; entre son épouse française et sa cousine mariée dont il s’éprend… Avec «
Les Chemins qui montent» (1957), il traite de l’acculturation et du déchirement identitaire doublés de la misère. Par le contexte identique et certains personnages qui passent d’un roman à l’autre, surtout pour les deux derniers, ces trois romans constituent une sorte de trilogie. En 1972, les éditions Le Seuil publient «
L’Anniversaire» composé d’études et de souvenirs de voyages, de la fin du roman «
Le Fils du pauvre», retirée de l’ouvrage en 1954, ainsi que des chapitres d’un roman qu’il écrivait avant sa mort et qui devait s’intituler «
L’Anniversaire». Sa famille publia ce dernier à Alger, en 2007, 45e anniversaire de sa mort, sous le titre du premier chapitre, "La Cité des Roses" . Le roman raconte l’amour d’un
Algérien pour une Française courtisée par un pied-noir. Feraoun qui situe l’action en 1958 y expose clairement le conflit historique en cours et la volonté d’indépendance :" Il s’agissait pour nous de reconquérir notre liberté et d’être maîtres chez nous"
Il a également publié «
Jours de Kabylie» (1954), recueil de chroniques illustrées de dessins et «
Journal 1955-1962» (1962) qui éclaire plusieurs points de sa vie et de son œuvre. En 1960, il a publié des poèmes de Si Mohand Ou M’hand, collectés et traduits par lui, et, en 1969, un recueil de correspondances «
Lettres à ses amis». Son œuvre, largement reconnue en Algérie et dans le monde, le situe parmi les classiques de la littérature algérienne.